La diversité est un thème récurrent de notre société et le jeu vidéo ne fait pas exception, surtout ces dernières années. La possibilité d’incarner un personnage féminin avec de la profondeur dans une licence telle que Assassin’s Creed a de quoi réjouir, par exemple. Cependant, cette évolution naturelle du jeu vidéo, ne plaît pas à tout le monde. Inclure des personnages qui s’éloignent du modèle qui domine depuis les débuts du jeu vidéo serait trop politique et pourrait même être un frein pour la créativité. L’inclusivité serait-elle synonyme de politiquement correct ?
Cet article entrant dans la rubrique "Débat et opinion", il est par nature subjectif. L'avis de l'auteur est personnel et n'est pas représentatif de celui du reste de la rédaction de Jeuxvideo.com.
De nouveaux visages
En début d'année 2020, Cliff Bleszinski, notamment connu pour avoir créé la série Gears of War, revenait sur les raisons de l’échec de son jeu LawBreakers. D’après lui, si le titre a rapidement été déserté par les joueurs, c’est parce qu’il souffrait d’une directive du PDG du studio Boss Key prônant la diversité, faisant ainsi obstacle à sa liberté créative. Un argument qui fait sourire quand nous savons que LawBreakers doit très certainement son oubli au succès d’un titre comme Overwatch , dont le casting fait preuve d’exemplarité en termes d’inclusivité.
Mais cette prise de position n’est pas isolée. Ces derniers temps, certaines annonces de jeux mettant en avant une femme ou des personnes appartenant à la communauté LGBTQIA+ se sont accompagnées d’une polémique mettant en cause une pression progressiste, parasitant l’industrie. Les exemples ne manquent pas. L’un des derniers qui vient rapidement en tête est Battlefield V , présentant des femmes soldats. Les réactions sélectionnées par Kotaku montrent que le principal reproche fait est un manque de réalisme au profit d’une féminisation abusive dans les jeux vidéo. Depuis, des historiens ont rappelé que c'était symptomatique d'une méconnaissance de l’importance des femmes dans les guerres .
Wolfenstein II The New Colossus en a aussi fait les frais, accusé de véhiculer des idées pro-communistes tout en défendant un racisme “anti-blanc”. De même, des joueurs se sont insurgés de découvrir que dans l'histoire de The Last of Us Part II , Ellie, personnage emblématique de la série The Last of Us, était lesbienne, jusqu'à provoquer un review bombing. Impossibilité de s’identifier à des personnages d’une autre couleur, fausse pudeur face à la représentation d’une orientation sexuelle autre que l’hétérosexualité, irréalisme dans l’apparition de femmes dans des rôles plus actifs… cela semble poser plus de problème que d’incarner des créatures qui n’ont jamais existées !
Une vision du monde qui prédomine
Mais si montrer plus de diversité est politique, nous pouvons alors tout autant dire que les représentations qui dominent depuis des décennies, le sont aussi. Les jeux vidéo comme tant d’autres médias, nous racontent des histoires. Et ces histoires répondent aussi à une volonté de représenter le monde. Aucune création ne part du vide, les créateurs de jeux ont un point de vue qui correspond à leur situation et leur vécu et cela transparaît dans les oeuvres, de manière consciente ou non. Mais nous sommes tellement habitués à voir des héros masculins, blancs, hétérosexuels évoluant dans un univers militarisé et binaire, que cela a pu apparaître comme étant la norme. Comme le public visé s’y retrouve, ce dernier peut penser que ce point de vue, qui est aussi le sien, surpasse tous les autres et correspond à quelque chose d’universel et de neutre.
Cela ne concerne pas que le jeu vidéo. Il y a peu, des fans de la saga Harry Potter ont protesté contre le choix de l’actrice incarnant Hermione dans la pièce de théatre Harry Potter et l'enfant maudit. Son défaut ? Être noire. L’autrice J. K. Rowling a réagi en rappelant qu’à aucun moment dans ses livres le personnage était signalé comme étant blanc. Encore une fois, le type caucasien apparaît comme universel, à tort.
Mais revenons au jeu vidéo. Les AAA qui bénéficient de gros budgets ont longtemps montré une certaine vision du monde, uniformisant notre culture populaire. Certes, il ne s’agit que très rarement de propagande politique à proprement parler (même si nous pouvons nous demander si tant de jeux mettant en scène les militaires américains contre le moyen-orient ne sont pas porteur d’un certain message...) mais plutôt d’une démarche commerciale répondant aussi à une demande et une réalité économique. Néanmoins, c’est bien un point de vue du monde, dominant ou non, qui est diffusé. Et si l'industrie embauchait davantage de personnes différente, les contenus se montreraient eux aussi plus diversifiés et représentatifs du monde réel.
Les démarches d’inclusivité n’a pas pour but de faire disparaître le modèle le plus massivement utilisé mais d’enrichir l’industrie d’autres points de vue et histoires tout en reflétant davantage la diversité de notre société. Outre les jeux indépendants moins frileux à inclure des minorités et qui sont peut-être moins tributaires des lois économiques, cela fait plaisir de voir les grands studios se sensibiliser à ces questions. C’est une manière aussi d’évoluer au même rythme que notre monde en perpétuel mouvement mais aussi de s’ouvrir à encore plus de joueurs et de joueuses.
Le jeu vidéo a tout intérêt à poursuivre cette direction. Il est peut-être temps de casser ce mythe du geek qui a sans doute donné une illusion sur la communauté : les femmes, les personnes racisées et les LGBTQIA+ ont toujours été de la partie. La seule nouveauté est que désormais, leurs voix sont entendues. Ne soyons pas snobes, ne refusons pas aux autres le plaisir de jouer, d’incarner des héros et héroïnes totalement fantasmagoriques ou tout simplement, qui nous ressemblent.