Prévu pour le 2 février, Suicide Squad : Kill the Justice League est l'une des sorties majeures de ce début 2024. Il faut dire que le titre est le dernier né de Rocksteady, un studio britannique qui a régalé les joueurs dans les années 2010 avec la trilogie des Batman Arkham. S'il s'agissait de véritables références en termes de jeux d'action solo narratif, les développeurs sont partis dans une autre direction avec leur nouveau projet. S'ils restent dans l'univers des super-héros, les équipes ont travaillé pendant sept ans sur un jeu service, c'est-à-dire une expérience pensée sur le long-terme pour accueillir régulièrement de nouveaux contenus afin que les joueurs continuent d'y jouer, et donc de dépenser de l'argent. Une première pour le studio.

Malheureusement, depuis son annonce, le projet n'entraîne pas d'engouement chez les joueurs, c'est même l'inverse. Il faut dire que cette formule ne fait plus l'unanimité de nos jours suite à de nombreux échecs comme Anthem, Babylon's Fall et surtout Marvel's Avengers pour rester dans le genre des super-héros. Le format du jeu service est-il condamné à vivre ses derniers jours en 2024 ? En vérité, la réponse est bien plus compliquée quand on prend le problème sous différents aspects.

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Les jeux service, un marché avec beaucoup d'appelés pour peu d'élus

Dans le petit monde du jeu service, toutes les expériences ne sont pas logées à la même enseigne. En réalité, une poignée de titres dominent complètement le marché et laissent les autres dans l'ombre. C'est ce que révèlent des chiffres de GamesIndustry consacré aux prédictions de leurs analyses pour 2024. Dedans, on y apprend que sur PC et consoles, 60% du jeu est dédié à seulement 19 jeux, voire 75% du temps du jeu détenu par seulement 33 titres quand on élargit le spectre. Autant dire que l'offre de jeu est disproportionnée par rapport à la demande qui est bien plus faible puisque les joueurs préfèrent rester sur les titres qu'ils connaissent plutôt que de s'investir dans un nouveau.

À partir de ce premier constat, il est clair que tous les jeux service qui débarquent sur le marché font face à une rude concurrence pour s'accaparer le temps libre des joueurs. Et au-delà des autres jeux, ils sont également en concurrence avec les réseaux sociaux et les plateformes de streaming par exemple qui cherchent à s'approprier notre temps de cerveau disponible. En plus de tout ça, il faut aussi prendre en compte que le marché ne fait plus l'objet de pics d'engagement comme cela pouvait être cas en 2020 et en 2021 suite à la pandémie de coronavirus qui avait forcé les gens à rester chez eux. Et pourtant, cela n'empêche pas de nombreux éditeurs de vouloir tenter leur chance, car en cas de réussite, si le jeu prend, c'est le jackpot assuré pour eux.

Comment font alors les jeux service déjà installés pour maintenir leur hégémonie dans ce milieu ultra-concurrentiel ? Dans le papier de prédictions de GamesIndustry dont on vous a parlé plus tôt, on trouve une réponse intéressante à cette question. Si on se place dans un cadre récent, on peut remarquer que certains jeux service populaires et déjà bien installés ont capitalisé sur la nostalgie ce qui s'est traduit par de grands succès. On pense clairement à World of Warcraft Classic ou à Fortnite qui ont fait revenir de nombreux joueurs heureux de redécouvrir ces jeux comme dans leurs souvenirs. En faisant appel au passé, cela permet de répondre facilement au besoin premier des jeux service, à savoir de produire constamment du contenu. Et le problème, c'est que cela n'est pas toujours suffisamment pour survivre comme nous l'a récemment montré l'exemple de Destiny.

"Même le meilleur jeu service du marché ne peut pas croître indéfiniment"

Destiny est le jeu service par excellence. Pendant longtemps, le titre de Bungie a été une référence pour les jeux du genre et un modèle à suivre tant son succès est incontestable. Il faut dire que le studio a grandement participé à façonner les codes de ce format tel qu'on le connaît aujourd'hui. Après la sortie du premier du jeu en 2014, Destiny a continué sur sa lancée avec le lancement du second épisode en 2017. Au fil des ans, le titre est régulièrement mis à jour avec de nouvelles saisons et extensions qui viennent constamment ajouté du contenu. Si ce modèle a fait ses preuves, il commence à péricliter depuis quelques années. Après l'excellente La Reine Sorcière, l'extension Eclipse a déçu de nombreux joueurs et le jeu semble avoir du mal à se relever.

Récemment, le studio a dû licencier une centaine de salariés à cause de ses mauvais résultats, tout en décalant la sortie de la prochaine extension La Forme Finale. Le poids sur les épaules de cette nouvelle aventure est particulièrement lourd, car en cas d'échec, Bungie pourrait dire adieu à son indépendance. Je vous explique. En 2022, Sony rachète Bungie pour son expertise sur les jeux services. Si jusque-là le studio jouissait d'une certaine liberté, des membres éminents du constructeur japonais siègent désormais à son conseil d'administration. Et comme le résume un article IGN qui évoque l'ambiance au sein de l'entreprise : "si Bungie n'atteint pas certains seuils financiers de manière trop importante, Sony est autorisé à dissoudre le conseil d'administration existant et à prendre le contrôle total de l'entreprise".

De quoi mettre une pression folle sur les développeurs qui savent que la prochaine extension sera décisive pour l'avenir de l'entreprise. Comme le résume si bien Jason Schreier en réaction à cet article, "l'un des thèmes qui sous-tend les licenciements de cette année est que même les jeux à service en direct les plus performants ne peuvent pas continuer à croître indéfiniment". Même l'élève parfait du jeu service rencontre des difficultés à créer constamment de nouveaux contenus et à satisfaire ses joueurs, ce qui témoigne de la limite de ce modèle. Pourtant, si Sony a racheté Bungie au départ, c'est bien pour leur expertise en termes de jeux service qui doit les aider à développer leurs propres expériences. Malheureusement, même sur ce point, les choses ne sont pas si simples.

Un modèle inadapté aux studios déjà installés

En mai 2022, on se souvient que Jim Ryan, alors CEO de Sony Interactive Entertainment, annonçait en grande pompe que plus d'une dizaine de jeux services étaient en développement du côté de PlayStation. Évidemment, pour le constructeur, le but est de lancer autant d'expériences différentes pour espérer qu'au moins l'une d'entre elles prennent pour être rentable, voire génère des bénéfices. Depuis, de l'eau a coulé sous les ponts, et l'entreprise japonaise semble être revenue en arrière sur cette affirmation. Rien que récemment, on se souvient que Naughty Dog, les créateurs d'Uncharted, ont annoncé que leur jeu service The Last of Us a finalement été annulé pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, on sait par des sources extérieures que le projet n'était pas au niveau des standards de qualité fixé par Sony. Des membres de Bungie ont été consultés pour leur expertise en termes de jeu service et ont jugé que le titre n'était pas à la hauteur de ce qui était attendu. Ensuite, dans un souci de transparence, Naughty Dog ont ouvertement déclaré qu'ils ne pouvaient pas maintenir un jeu service à flot tout en continuant à développer des jeux solo narratifs qui ont fait leur prestige car cela est trop chronophage. Alors, un choix a dû être fait, et c'est cette expérience multijoueur qui en a payé les frais.

Évidemment, si on a eu droit à autant de jeux service ces dernières années, c'est parce qu'ils peuvent générer énormément d'argent en cas de succès et qu'ils ne coûtent pas si chers en frais de développement une fois lancés. Pour autant, cela ne veut pas dire que tout le monde est capable de maintenir ce genre d'expérience et Naughty Dog l'a bien compris face à ce qu'a vécu Crystal Dynamics avec Marvel's Avengers. Alors que le studio est spécialisé dans les jeux solo narratifs, les équipes se sont retrouvées à devoir gérer un jeu service constamment mis à jour, ce qui n'était pas dans leur compétence. Résultat, le jeu a été un échec cuisant qui a depuis fermé ses portes.

Aujourd'hui, Sony semble faire demi-tour à propos de ses ambitions en termes de jeux service, comme le prouve l'exemple de Naughty Dog. Et selon les experts de GamesIndustry, ces derniers tablent sur la fin de la domination du marché par ces expériences pensées sur le long terme pour cette année 2024. Si les titres déjà installés ne bougeront pas, on devrait voir apparaître de moins en moins de jeux service puisque les éditeurs n'en voudraient plus pour se focaliser sur le développement de jeux premium. Et ça, ça devrait faire plaisir à de nombreux joueurs.