Nous aimons tous les jeux vidéo. Et ce que nous apprécions encore plus, c’est d’avoir la possibilité de connaître tous les secrets d’une œuvre que nous adorons au sein même de l’univers virtuel que nous parcourons. Car c’est parfois au détour d’un couloir totalement anodin que se cache l’anecdote la plus incroyable. Les making-of en vidéo sur YouTube, c’est bien, mais il existe une fonctionnalité autrement plus intéressante malheureusement sous-exploitée. D’Half-Life à Alone in the Dark, nous avançons sur un chemin pavé de bonnes intentions.
Cet article étant un billet d’opinion, il est par nature 100 % subjectif. L'avis de l'auteur est personnel et n'est pas représentatif de celui du reste de la rédaction de JV. Bonne lecture !
Sommaire
- Le vrai Developer Direct !
- Parole d’évangile... avec des bulles
- Plaisir d’offrir, joie de recevoir
- Vieille de presque 20 ans, une bonne idée sous-exploitée
Le vrai Developer Direct !
C’est en parcourant la demeure maudite de Derceto pendant le test du dernier épisode d’Alone in the Dark (2024) que cette fonctionnalité m’a frappé comme une flèche en plein cœur. Après avoir fait un petit tour dans les options du jeu pour activer les “commentaires du développeur”, je me rends dans les sous-sols de la bâtisse. En face de moi, l’icône d’un micro avec la mention “dev” tournoie. J’appuie dessus. “Bonjour et bienvenue dans les commentaires audio d’Alone in the Dark” résonne dans le lieu lugubre. “Mon nom est Mikael Hedberg et je suis le directeur créatif”. L’homme, principalement connu pour son travail sur Amnesia : The Dark Descent et SOMA, revient alors sur la scène d'introduction à laquelle je viens d’assister, donnant des détails sur la manière dont elle a été repensée par rapport au jeu d’origine sorti en 1992.
Un peu plus loin, c’est Rikard Ryberg, le directeur artistique du projet, qui prend la parole quand le joueur déambule devant le jardin d’hiver. Il évoque les références utilisées dans la construction de ce nouveau Derceto. À quelques mètres de là, c’est notre Frédérick Raynal national, le créateur du premier Alone sorti il y a 32 ans, qui y va de son petit mot quand j’active son micro. Il se dit “ravi” de franchir de nouveau les portes grinçantes du manoir hanté qui l’a rendu célèbre. Et moi aussi ! Comment ne pas l’être quand on est aussi bien accompagné ?
Avec de tels guides, mon second run du soft prend une toute autre dimension. Non seulement je prends le temps de débloquer ce que je n’avais pas récupéré auparavant, comme dans toute “nouvelle partie” qui se respecte, mais surtout, je découvre tous les secrets de production en compagnie de Pieces Interactive. Avec en bonus la parole de celui grâce à qui tout a commencé, qui révèle quelques anecdotes croustillantes sur un soft qui a révolutionné le jeu d’aventure horrifique.
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Parole d’évangile... avec des bulles
Vous me direz – et vous aurez raison – que les making-of dans le monde du jeu vidéo, en plus de ne pas être nouveaux, n’ont rien de rares. Dans les années 1990, il existait des cassettes vidéo promotionnelles exposant le travail de divers studios. Au début des années 2000, l’excellent reportage de Fun TV sur Silent Hill 2 était fourni dans le coffret collector du titre de Konami, tandis qu’en 2004, Microsoft proposait un documentaire sidérant de sincérité sur la conception d’Halo 2 dans l’édition limitée du soft. Depuis, nous avons constaté l’arrivée de nombreux making-of sur YouTube, que ce soit pour God of War, The Last of Us Part II ou encore Psychonauts 2. La parole des développeurs est précieuse dans le monde du jeu vidéo, et il y a de quoi s’enthousiasmer quand on nous donne l’opportunité de découvrir ce qui se passe sous les néons des studios, quand bien même l’exercice serait scruté par les services marketing des plus grands groupes de l’industrie.
Même si Valve a lui aussi proposé un reportage plutôt conventionnel dans sa forme afin de fêter les 25 ans de la sortie d’Half-Life, le groupe américain a révolutionné le concept de making-of dédié au jeu vidéo en 2005, à l’occasion de la démo technique jouable Half-Life 2 : Lost Coast. C’est en effet dans les niveaux mettant en avant le HDR rendering du Source Engine que sont apparues des bulles flottant au-dessus le sol. Quand le joueur les active, un membre de l’équipe de développement s’exprime pour livrer des informations ou diverses anecdotes. Par la suite, Valve intègre ce système de commentaires interactifs dans Episode One, Episode Two, Portal, Portal 2, Left 4 Dead, Left 4 Dead 2 et Team Fortress 2. Dans Half-Life : Alyx, plutôt que de devoir activer des bulles, le joueur doit mettre un casque audio sur sa tête en VR comme s’il visitait les ponts de Paris à bord d’un bateau-mouche. Bien vu !
Plaisir d’offrir, joie de recevoir
Qu’on se le dise, ce procédé est tout simplement génial. Plutôt que de copier ce qui existe dans le monde du cinéma avec ses documentaires à visionner dans les bonus des DVD/Blu-Ray, ce système de commentaires puise dans ce que le jeu vidéo a de meilleur par rapport à d’autres médias : l’interactivité. C’est en effet à l’utilisateur de décider quand écouter un commentaire, ainsi que le temps passé entre deux bulles pour approfondir (ou non) l’exploration. Les développeurs, de leur côté, profitent de cette gigantesque visite guidée dans les entrailles de leur production pour afficher de temps à autre le menu debug, afin de montrer au joueur des trajectoires, des informations sur les modèles 3D ou encore des hitbox. Il n’y a tout simplement pas meilleur moyen de livrer les secrets d’une création !
Quand le mode “commentaires” est activé dans les jeux de Valve, le joueur devient invulnérable ou indétectable par l’IA. C’est pourquoi les succès ne peuvent pas être débloqués. Un choix que n’a pas fait Pieces Interactive avec Alone in the Dark : les anecdotes sont une surcouche du jeu de base à activer/désactiver à tout moment. Les monstres peuvent donc vous attaquer au plein milieu d’une anecdote croustillante.
Ces commentaires à écouter en actionnant des objets directement intégrés à l’univers du soft sont l’occasion rêvée d’entrer dans les détails de conception qui auraient été coupés au montage dans un making-of classique, en vidéo, ne devant pas excéder l’heure et demi. Half-Life Alyx compte 3 heures de commentaires disséminés dans 147 points d’intérêt pour une aventure dont la durée est estimée à une douzaine d’heures. Oui, ça fait beaucoup de temps pour entrer dans les détails, et c’est tant mieux.
Dans les jeux de Valve, cette fonctionnalité nous donne l’opportunité d’entendre Gabe Newell, le grand patron de l’entreprise, proposer une introduction ainsi qu’une conclusion, non sans avoir invité les joueurs à lui envoyer des messages après avoir lâché son e-mail pro. Dans Alone in the Dark, ce système permet d’en apprendre plus sur l’aspect méta qui n’est pas le plus accessible lors de la première tentative. Et recevoir les adieux des artistes de Pieces Interactive ainsi que de Frédérick Raynal juste avant l’affrontement contre le boss final a quelque chose de terriblement surréaliste, je dois l’admettre.
Vieille de presque 20 ans, une bonne idée sous-exploitée
Vous l’aurez compris, cette fonctionnalité brillante conviendrait parfaitement à la plupart des jeux du marché disposant d’une campagne solo. Resident Evil, Uncharted, Elden Ring, Halo, Zelda… tous seraient des candidats idéaux aux commentaires interactifs. Outre les créations de Valve et Alone in the Dark, aucun autre jeu majeur ayant inclus de procédé similaire ne me vient à l’esprit. Et c’est fort dommage, car il y a de nombreuses pistes exploitables pour rendre cette fonctionnalité mieux intégrée et plus passionnante encore. Il y a bien eu le très intelligent The Making of Karateka, qui est un véritable documentaire interactif, mais la plupart du temps, les making-of se contentent d’être des vidéos YouTube plus ou moins longues.
“Chaque jeu terminé est un miracle en soi” peut-on lire dès la troisième page du livré écrit par Jason Schreier, “Du sang, des Larmes et des Pixels” (Mana Books). Oui, les jeux vidéo que nous aimons sont des produits complexes qui réunissent un grand nombre de métiers. Qui aurait pu croire il y a 35 ans que des entreprises recruteraient des level designers, des scripteurs caméra ou encore des technical artists ? Avoir la chance d’écouter ce que les auteurs ont à dire sur leurs créations au sein même du jeu vidéo qu’ils ont conçu est un luxe toujours trop rare. Faire un second run en compagnie des développeurs au cours d’un voyage interactif bourré d’anecdotes est une des meilleures façons de me motiver à relancer un titre. Et j’ose imaginer que je ne suis pas le seul.